Privé de permis de séjour dans le dictionnaire où il devrait légitimement s’insinuer entre “carafe” et “carafon”, le terme “carafer” bénéficie de l’aura de ces mots quelque peu obscurs appartenant au langage codé des grands prêtres de la dégustation.
Carafer le vin
Il s’agit là pourtant d’un geste simple, susceptible de produire un résultat souvent très probant. En réalité, l’action de carafer (fait de transvaser une bouteille de vin dans une carafe avant le repas) peut poursuivre deux visées différentes.
La première concerne essentiellement les vins “jeunes”, c’est-à-dire en général, âgés de moins de dix ans, les vins vieux possédant un capital aromatique plus fragile que l’apport d’oxygène pourrait dénaturer. L’idée est ici, grâce à la vertu d’une oxygénation mesurée, d’harmoniser le vin (blanc ou rouge) dont les accents encore fougueux méritent d’être assagis ; mais aussi de permettre à un vin encore un peu réservé, de s’ouvrir, voire parfois de se départir d’odeurs indésirables de confinement.
La durée souhaitable du séjour en carafe avant le repas est d’une à quatre heures, selon la densité du vin.
La seconde vocation du “carafage” est la décantation des vins vieux, qui a pour but de séparer le dépôt résiduel du liquide lui-même. L’opération, délicate, requiert beaucoup de minutie et doit s’opérer lentement afin de ne pas remettre les particules en suspension. Elle s’effectue au dernier moment, à l’aide d’une source lumineuse qui permet d’observer le liquide en transparence, la bougie étant l’instrument préféré des spécialistes.
Il va de soi que ces règles très générales doivent s’appliquer au cas par cas. Reste le choix de la carafe… Aux carafes de forme par trop ventrue (souvent les plus belles !), qui offrent une surface d’oxygénation trop importante, on préfèrera des galbes moyens. En tout état de cause, auréolée du secret dont elle est porteuse, la carafe apportera sa plus-value esthétique au couvert d’apparat…
Alain Labatut